Vue de l'intérieur d'une chambres des réfugiés ivoiriens au Togo (Avépozo) toujours habitée alors que le HCR demande de quitter les lieux
Vue de l'intérieur d'une chambres des réfugiés ivoiriens au Togo (Avépozo) toujours habitée alors que le HCR demande de quitter les lieux (C) Ken LOGO

Togo : Les « laissés-pour-compte » du camp d’Avépozo

Devant sa chambre fabriquée en claies au camp des réfugiés ivoiriens d’Avépozo, une banlieue Est de la capitale togolaise, Benjamin Méambli pense à ce que l’avenir lui réserve, depuis que ses compatriotes et lui-même, ont fait le choix de s’intégrer au Togo avec l’appui du HCR.

Le 30 septembre dernier, le gouvernement togolais a annoncé dans un communiqué laconique que le camp est définitivement fermé. Benjamin et tous les locataires du camp sont sommés par l’UNHCR Togo de quitter les lieux.

C’est dans cette petite chambre communément appelée au Togo studio ou entrée-couché, qu’il a vécu depuis 2011, année où il a trouvé refuge dans la capitale togolaise à la suite des affrontements survenus en Côte d’Ivoire après la présidentielle de cette année-là, et qui ont fait, officiellement plus de 3000 morts.

« Nous sommes encore là, ici, dans le camp des réfugiés d’Avépozo parce que nous n’avons pas les moyens de nous installer ailleurs. Cela fait que depuis fin août nous sommes à la traîne. Rien de tout ce qui nous avait été promis par le HCR (le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, NDLR), n’est fait à ce jour » nous confie Benjamin, qui faisait office de président des réfugiés du camp.

Il était aux alentours de 20h ce jour-là et on pouvait entendre de loin le bruit des vagues qui ne sont qu’à peu près 500 m du camp. Benjamin Méambli raconte qu’ils sont environ 400 Ivoiriens à être dans cette situation en attendant que le HCR Togo les sorte de « l’incertitude ».

Ces Ivoiriens, en effet, «ont fait le choix de rester au Togo après la cessation du statut de réfugiés conformément à la décision prise par l’UNHCR, le gouvernement ivoirien et les pays d’accueil (Ghana, Guinée, Libéria, Mali, Mauritanie et Togo) au travers d’une déclaration conjointe (relative à la feuille de route pour les solutions durables à la situation de réfugiés) en date du 7 septembre 2021.

Cette cessation du statut de réfugiés ivoiriens était alors fixée au 30 juin 2022 avec en toile de fond la mise en œuvre de cette feuille de route pour les solutions durables. Le 20 juin déjà, Filippo Grandi, le Haut-commissaire des Nations unies pour les réfugiés a officiellement déclaré cette fin de statut à Abidjan à l’occasion de la journée mondiale des réfugiés.

Au Togo, la fermeture du camp des réfugiés ivoiriens d’Avépozo a initialement été prévue pour fin août 2022. Les autorités togolaises attendront fin septembre pour l’annoncer publiquement.

– Les procédures n’ont pas été respectées

La feuille de route en question indique en son point 4, outre « la délivrance à bonne date de passeports nationaux et d’actes d’état civile aux citoyens ivoiriens désireux de s’établir dans les pays d’asile… », que les différents acteurs doivent s’assurer que ces derniers « bénéficient d’un statut légal, concrétisé par un permis de résidence permanente ou titre de long séjour ».

« Tout notre problème commence là. Parce que nous n’avons toujours pas ce document (titre de séjour) à notre disposition depuis que nous avons obtenu les passeports. Or, le processus d’intégration locale est un processus graduel. Il est en trois étapes. D’abord il y a l’étape juridique sanctionnée par l’accompagnement du HCR pour l’établissement à chacun de nous d’un titre de séjour au Togo. Ensuite, il y a celle économique qui devrait nous permettre d’obtenir un accompagnement financier du HCR pour démarrer une activité. Enfin, il y a un volet socioculturel. Ces détails, ce sont eux qui nous les ont donné », explique Benjamin.

Pour lui, c’est le non aboutissement du seul volet juridique, c’est à dire la non délivrance pour l’instant de ce titre de séjour, qui « bloque la suite du processus, c’est à dire, l’accès à l’accompagnement économique prévu pour démarrer une nouvelle vie au Togo ».

« Malheureusement, on en était là, la date butoir pour la fermeture du camp est passée depuis plusieurs jours. Et le HCR nous demande simplement de libérer les lieux. Vous comprenez cela vous ? Mais comment on peut le faire si nous ne savons pas où aller ? Figurez-vous que personne ne nous explique cela. Et la cheffe de bureau nous a clairement dit que nous ne sommes plus ses interlocuteurs », s’indigne-t-il.

– Un accompagnement économique très attendu

En effet, avant de choisir le rapatriement volontaire ou de s’engager dans le processus d’intégration locale au Togo, les réfugiés ivoiriens ont été longuement sensibilisés par le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, avec l’accompagnement des autorités togolaises.

Le package socio-économique ou accompagnement économique, a souvent été bien clarifié.

« Le package socio-économique est un kit accordé aux réfugiés après obtention d’un document légal (carte de séjour et nationalité) pour faciliter leur intégration locale sur le plan socio-économique. Dans la définition du Kit, il est pris en compte plusieurs composantes notamment l’éducation, le logement, le livelihoods/inclusion économique, santé etc… », d’après un dépliant des partenaires au processus d’intégration locale des réfugiés ivoiriens vivants au Togo (la Coordination nationale d’assistance aux réfugiés, le Haut Commissariat des Nations unies pour les réfugiés, et le Green Village Foundation).

Ce dépliant, Sitha, réfugiée avec ses enfants, rencontrée sur le site cette nuit-là, le garde jalousement.

« Nous attendons effectivement ce package économique. Nous avons l’impression que le titre de séjour ne nous a pas été donné pour empêcher ensuite de nous donner ce package. On nous a dit que le package économique de l’intégration contenait une somme allouée à la scolarisation de nos enfants sur un an, une somme allouée au loyer pendant un an, une somme allouée à la santé pendant un an également et une somme allouée à l’établissement d’une activité génératrice de revenus. Mais jamais les montants ne nous ont été donnés » a-t-elle soutenu, visiblement très dérangée par la situation dans laquelle elle se retrouve depuis le 31 août date officielle annoncée pour la fermeture du camp.

Depuis cette date, nous confie-t-elle, tous les réfugiés, candidats à l’intégration sociale au Togo, sont dans une insécurité totale. Sitha affirme que c’est une « insécurité surtout financière », et qu’elle a perdu tous ses repères.

« J’ai tout perdu pour la seconde fois de ma vie, onze ans après avoir tout perdu au pays. Les petites activités que je menais pour manger avec mes enfants, je les ai perdues. J’étais obligée de débrancher mon petit congélateur et de confier tout à d’autres hors du camps, puisque je suis sommée de libérer les lieux. J’ai ensuite dépensé les petits sous de mon commerce et maintenant je ne me retrouve avec rien du tout. Sans rien faire. J’ai finalement l’impression d’être encore plus réfugiée en 2022 qu’en 2011 » susurre-t-elle les larmes aux yeux.

« On nous menace, on nous dit même que la police viendra nous frapper si on restait encore sur les lieux. Donc, ce que nous avons trouvé mieux à faire, c’est d’aller mettre nos bagages chez des gens de bonne volonté en ville. Puis la nuit, comme, on ne sait pas où dormir, nous sommes obligés de revenir au camp. Et quand il se fait tard, nous retournons, avec la peur au ventre, dans nos anciennes chambres vides, pour dormir », raconte Christophe Dion, un autre réfugié.

Il confie qu’il traverse encore là, un des « pires moments » de sa vie, « sans argent et sans possibilités d’envoyer ses enfants à l’école » au moment où démarre l’année scolaire 2022 – 2023 au Togo.

Questions sans réponses

Pourquoi alors le HCR ne donne pas cet accompagnement économique pour faciliter l’insertion locale des réfugiés ivoirien ? Pourquoi ces réfugiés ont-ils été abandonnés ? Toutes nos tentatives d’obtenir des réponses de l’organe onusien en charge des réfugiés au Togo ont été sans suites.

Contacté par l’Agence Anadolu, Prof Akodah Ayéwouadan, ministre togolais de la Communication et des Médias, porte-parole du gouvernement, rappelle que la question du Kit de survie « est de la responsabilité du HCR-Togo » et non celle du gouvernement togolais ».

Il affirme également que « les citoyens ivoiriens, n’ont pas besoin de titre de séjour pour être au Togo », étant donné que le Togo et la Côte d’Ivoire font tous les deux partie d’une même communauté économique : la CEDEAO

« Le gouvernement togolais, en lien avec le HCR-Togo et les autorités ivoiriennes, a déjà entrepris la libération du site d’Avépozo. Certains réfugiés avaient pris l’engagement de rentrer en Côte d’Ivoire et le gouvernement les a accompagnés. Certains souhaitaient rester et dans ce cas également, il n’y avait pas de difficultés puisque ce sont des citoyens de la communauté. Cependant depuis quelques temps, il a été constaté un retour sur le site de certaines personnes, transformant le site en squat » note le porte-parole du gouvernement togolais.

Il a affirmé par ailleurs que « le gouvernement s’est engagé à restituer le site aux propriétaires et il va continuer à travailler dans ce sens ».

Près de 300 000 Ivoiriens se sont déclarés réfugiés à la suite des affrontement post-électoraux de 2011. Autour de 7000 d’entre eux ont été accueilli au Togo dans le camp d’Avépozo ouvert dès avril 2011. Seulement près de 400 ont choisi de rester au pays au motif qu’ « ils ont encore peur de retourner en côte d’Ivoire ».

Par Alphonse LOGO

Publié également par Anadolu Agency

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