Pierre sacrée chez le peuple Guins au Togo -2022
Pierre sacrée chez le peuple Guins au Togo -2022

Togo : Les Guins, un peuple dévoué au culte de la « pierre sacrée »

Dans le sud-est du Togo, près de la frontière avec le Bénin et presqu’en bordure de mer, vit une communauté dénommée « les Guins », qui entame d’une manière particulière sa nouvelle année chaque 13 apparitions lunaires. Cela se fait notamment, avec une grande cérémonie rituelle dénommé « Ekpessosso » ou la prise de la pierre sacrée.

Historiquement, précise Michel Goeh Akué, professeur titulaire du Conseil Africain et Malgache pour l’Enseignement Supérieur (CAMES) en histoire contemporaine, et enseignant chercheur des universités du Togo et du Bénin, ceux qu’on appelle aujourd’hui les « Guins » sont un mélange de différents populations dont les origines sont aussi divers.

« Les Guins pour une partie, sont venus de la côte d’Accra au Ghana pour s’installer au Togo, suite à une guerre qui les opposa à la communauté Akwamou. Devant la défaite, ils ont dû fuir pour se réfugier au Togo. Cette immigration va se poursuivre entre le 18e et le 19e siècle au point de constituer une forte communauté dans cette partie du Togo » précise l’historien togolais.

Une autre partie de cette communauté « Guin » est constituée, selon le même historien, des « Fantis », connues aujourd’hui sous l’appellation des « Adigos », un autre peuple qui naviguait à la même époque sur la côte togolaise et qui, finalement, s’est installé dans le pays.

– Un long processus

Ainsi donc, depuis plus de 350 ans maintenant, ce peuple vit son union à travers la fête traditionnelle Epé Ekpé ou Ekpesso dans le respect strict d’un rituel autour de la « pierre sacrée ».

Toute cette communauté (vivant au Togo ou ailleurs) se retrouve autour des prêtres vaudou et de leur divinités, pour les cérémonies de prise de cette pierre et célébrer l’entrée dans la nouvelle année. Un moment aussi sacré que la pierre puisqu’il faut atteindre chaque année la treizième lune pour observer ce moment.

« La prise de la pierre sacrée se fait le dernier jeudi de la treizième lune. Et cette cérémonie traditionnelle donne les augures pour la nouvelle année avec les prêtres traditionnels qui consultent le Fâ, une des divinités pour déterminer ce que réserve la nouvelle année » précise Michel Goeh Akué.

Et ce rituel qui se termine en effet par la prise de la pierre sacrée, n’est en fait que « l’aboutissement d’un long processus de consultations des divinités, et des sacrifices ».

L’historien togolais explique que l’idéal recherché chaque année par les prêtres vaudou, c’est que la couleur de la pierre soit blanche. Si elle est d’une autre couleur, détaille-t-il, les prêtres des différentes divinités vaudou engagent durant plusieurs semaines des cérémonies et sacrifices pour implorer la clémence des dieux.

« Quand les prières et les sacrifices sont acceptées par les dieux, la pierre apparaît blanche et annonce de bonnes nouvelles sur le déroulé de la nouvelle année », Ajoute Goeh Akué.

– Prise de la 359e pierre

Le 22 septembre 2022 en effet, le peuple Guin s’est encore retrouvé dans la forêt sacrée à Avé Gbatsomé, pour la prise de la 359e pierre.

Et comme chaque année, l’annonce de la couleur de la pierre et de son message était faite dans une ambiance solennelle. Au podium, on pouvait constater la présence des autorités locales, politiques et administratives, des chefs traditionnels, gardiens des us et coutumes et des visiteurs.

« C’est la troisième fois que je vis cette cérémonie. Et j’ai toujours la chair de poule à pareil moment », raconte Michel, un touriste de nationalité française présent sur place pour vivre ce moment de curiosité avec son épouse, d’origine guin.

Sur la cours de cette place publique, des adeptes vêtues de blanc étaient en trance. Lourdes perles au cou, elles dansent et émettent des cris quand du coup on entend « AGOOOOO, AGOOOO, AGOOOO » qui veut dire littéralement « faites le chemin ».

Le chairman du jour le disait pour réclamer l’attention et annoncer la présentation de la pierre au public, suivie « du message des oracles » qui accompagne la pierre.

« La pierre de cette année est de couleur blanche immaculée. Elle indique que l’année sera prospère et porteuse de bonheur », a annoncé Bruno Fidelis Mensah-Kouto, le chairman.

Cependant précise-t-il, l’oracle recommande en vue de bénéficier de ces bienfaits de la nouvelle année, « des sacrifices » à faire par les natifs de la communauté Guin, les prêtres et les autres.

« L’oracle recommande des sacrifices aux fétiches gardiens des cités « doulégba ». Il recommande d’honorer les chasseurs et ceux qui sont morts en martyr pour que vivent et prospèrent nos cités. Tous ceux qui sont venus ici ce jour, verront exaucés les vœux exprimés », a indiqué Mensah-Kouto

Et il a poursuivi avec une kyrielle d’autres recommandations.

– La pierre est sacrée

Toutes ces recommandations et l’attention que la communauté guin leur accorde, montrent le côté sacré de la pierre. Mieux, explique Félix Anoumou Dossavi, porte-parole du comité d’organisation de la cérémonie Ekpessosso, « la pierre des Guins est sacrée en raison du grand respect religieux qui lui est dû ».

« Elle représente le lien entre l’invisible, que sont les Divinités, et le visible, que sont les humains. Elle est alors le messager du monde des dieux et ancêtres Guins aux peuples Guins » a indiqué Dossavi

Et au-delà des Guins, poursuit-il, la pierre sacrée ne s’adresse pas qu’aux Guins. Mais surtout à la population togolaise.

« Car, le message de la pierre sacrée, indique la feuille de route pour le vivre ensemble dans tout le pays. Quand le message sort, il indique ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour que l’année nouvelle faite des 13 prochaines lunes de 28 jours chacune (soit au total 364 jours), soit bonne. Donc c’est pour tout le monde », assure le porte-parole

– Une fête autour du « Yaka Okin »

Pierre sacrée chez le peuple Guins au Togo -2022
Prise de la pierre sacrée chez le peuple Guins au Togo -2022

C’est donc toute une religion qui ne dit pas son nom en réalité, qui s’est développée autour de la pierre sacrée chez le peuple guin dans le sud-est du Togo.

« Personne n’est obligé de participer à cette cérémonie », note-t-il. Ce qui est difficile à éviter par contre, reconnaît-il, « c’est le lien du sang qui oblige le fils Guin à revenir voir et vivre avec les siens, au moins, une fois par an. D’ailleurs je vous le dis, le message de la pierre sacrée n’a pas de religion ni d’ethnie ni de race ».

Ainsi, des milliers de natifs Guins, quelques soient leur religion, n’hésitent pas à rentrer pour participer à la fête de la nouvelle année. Une fête autour d’un plat local appelé « Yaka Okin ».

« Je suis guin, et je suis fier de rentrer chaque année. Vivre ce moment. Avec la covid-19, je n’ai pas pu être là les années passées. Maintenant je suis là, et je suis content », témoigne Younglove Amavi.

Ce repas, explique Dossavi, se mange dans les clans, les familles, les communautés à tour de rôle pendant trois bons mois. « Cela permet de s’inviter et de développer le vivre ensemble et d’atténuer les tensions sociales inhérentes à tout peuple », conclut-il.

Par Alphonse LOGO – Publié par Anadolu le 27 Septembre 2022

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