À Munich, Dussey donne les clés pour une souveraineté alimentaire en Afrique

La 60e Conférence de Munich sur la sécurité ouverte vendredi en Allemagne, fermera ses portes ce dimanche 18 février 2024. La sécurité alimentaire mondiale a été l’une des préoccupations majeures des questions générales de sécurité abordées. Notamment lors d’une table ronde.

Ce forum annuel regroupe cette année environ 180 dirigeants gouvernementaux parmi lesquels, des chefs d’État et de gouvernement, des ministres et hauts fonctionnaires de plusieurs pays, ainsi que de chefs d’organisations internationales et de leaders d’opinion.

Participent également à cette 60e édition de la Conférence de Munich, plus d’un millier d’invités, parmi lesquels des dirigeants de firmes internationales, notamment de défense, des universitaires et des représentants d’organisations non gouvernementales. Rapporte l’agence Turque ANADOLU.

Du vendredi à dimanche, une soixantaine de sessions se sont déroulées programméesaitour de diverses thématiques, des conflits internationaux et d’autres questions de sécurité, ainsi que de l’avenir de l’Otan, les politiques énergétiques, la crise climatique, la sécurité, l’alimentation et l’intelligence artificielle etc…

La guerre russo-ukrainienne, les tensions au Moyen-Orient et le rôle de l’Europe dans le monde, font également parties des sujets abordés, sans compter très particulièrement « le conflit palestino-israélien, le système international et d’autres questions internationales importantes telles que le climat et l’insécurité alimentaire ».

Des réponses aux interrogations sur le leadership de Washington en cas de réélection de l’ancien président américain et candidat des des républicains Donald Trump, ont été aussi étudiées durant ce forum.

La participation du Togo

C’est le chef de la diplomatie togolaise, Robert Dussey, représentant le chef de l’état togolais Faure Gnassingbé, qui a pris part depuis vendredi, à cette 60e Conférence de Munich sur la sécurité.

Il a eu plusieurs rencontres bilatérales et participé à la table ronde sur la sécurité alimentaire mondiale. A cette rencontre, il a apporté aux débats, la perspective africaine sur cette question de sécurité alimentaire.

On estime aujourd’hui le continent africain en proie à la sous alimentaire et la malnutrition. Une situation qui mettrait en péril plus de 278 millions d’Africains, soit le tiers des personnes concernées dans le monde.

L’Afrique enregistre également des taux de malnutrition supérieurs au niveau mondial.

Et pourtant, a rappelé Dussey, « ce ne sont ni les politiques et programmes, ni les terres agricoles et la main d’œuvre qui font défaut à notre continent ».

La marche africaine vers une sécurité alimentaire

En effet, a rappelé Robert Dussey, « depuis les indépendances, plusieurs politiques et programmes agricoles ont été administrés aux Etats africains dans leur processus de développement, soit de l’extérieur, soit par les dirigeants africains eux-mêmes ».

Robert Dussey lors de la table ronde sur la sécurité alimentaire

Dans les détails, et tout le monde le sait, les fait historiques suivants sont évocateurs. Par exemple, l’Afrique a connu, dans les années 60, sous la manœuvre des colonisateurs, la mise en place de sociétés d’Etat ayant en charge des filières agricoles, en particulier celles d’exportation. Ses dirigeants lui ont prescrit en 1980 un plan d’action pour le développement économique, appelé, Plan d’action de Lagos, qui avait pour objectif central, l’auto-suffisance alimentaire.

Dans les mêmes années 80, l’Afrique s’est vue imposer les plans d’ajustement structurel par le FMI et la Banque mondiale, avec leurs conditionnalités et leurs corollaires de privatisation et de désengagement des Etats dans tous les secteurs, y compris l’agriculture.

En 2003, les dirigeants africains ont adopté le Programme détaillé pour le développement de l’agriculture africaine (PDDAA), avec des objectifs de croissance de 6% et des investissements publics à hauteur de 10% des budgets nationaux. Ce programme avait pour ambition d’éradiquer la faim en Afrique à l’horizon 2025.

Quant à la disponibilité des terres agricoles, certaines études mentionnent que l’Afrique détiend la clé de la sécurité alimentaire mondiale, car elle dispose de 50 à 60% des terres arables disponibles de la planète, soit environ 200 à 250 millions d’hectares de surface agricole disponible et non exploitée. D’autres indiquent d’ailleurs que l’Afrique a les moyens de nourrir les ¾ de la population de la planète au regard de son potentiel agricole et de la main d’œuvre dont elle regorge.

En dépit de tous ces politiques et atouts agricoles, le constat aujourd’hui est que le système alimentaire en Afrique ne fournit pas d’aliments à un coût qui rende les régimes alimentaires sains et abordables pour la majorité de la population.

La menace malgré les efforts

Parmi les facteurs souvent évoqués pour expliquer la situation de sous-alimentation qui perdure en Afrique, le chef de la diplomatie togolaise en a relevé quatre (4) voire cinq (5) devant ses interlocuteurs « 

D’abord, « le faible pouvoir d’achat (plus de 40% de la population africaine vit avec moins de 1,9 dollar par jour, ce qui ne permet pas d’accéder facilement aux aliments« . Il a évoqué en outre « la cherté des produits, liée à la très forte volatilité des prix sur les marchés (l’Afrique est l’un des continents les plus exposés aux chocs extérieurs) ».

Le changement climatique et les conflits entraînant des déplacements de populations et des perturbations de la production et de la distribution, et la croissance rapide de la population avec une urbanisation galopante, etc… ont également été noté l’universitaire et chef de la diplomatie togolais.

« En réalité, les politiques agricoles mises en avant en Afrique sont souvent très cloisonnées ; elles ne sont pas liées aux autres secteurs de l’économie, d’où la limite de leur efficacité, faisant de l’Afrique l’un des continents les plus assistés au plan alimentaire dans le monde. En 2022, la FAO estimait que 45 pays, majoritairement d’Afrique, avait besoin d’aide alimentaire extérieure. Or, dans un contexte international où les pays riches sont de plus en plus handicapés par les crises économiques, il est fort probable que l’Afrique devra compter sur elle-même pour réduire sa dépendance alimentaire. Il est donc temps que l’Afrique se donne les moyens pour s’auto-nourrir » à soutenu Dussey.

La souveraineté alimentaire

Il n’a pas hésiter à le clamer fort: des solutions sont possibles au regard des potentialités du continent. Et ces solutions doivent être envisagées de son point de vue, envisagées sous l’angle de la souveraineté alimentaire, en préconisant moins de dépendance aux importations, avec des politiques agricoles et commerciales plus favorables aux agriculteurs.

« Les Etats africains doivent s’engager à faire du combat pour la sécurité alimentaire un enjeu vital, en s’attaquant à la racine du problème. Une vision commune, une bonne volonté des responsables politiques et une collaboration intersectorielle efficace, y compris le secteur privé, sont essentielles. Il est important d’adopter une démarche holistique qui promeut des systèmes agroalimentaires territorialisés et des systèmes agroalimentaires qui exploitent au mieux le potentiel de production, de transformation, et qui promeuvent des habitudes saines de consommation. » a-t-il dit.

Robert Dussey pense que le chemin passe par l’encouragement des échanges entre pays africains en fonction des avantages comparatifs de chaque pays. Il propose ensuite que les etats africains pense à la « libéralisation du commerce et la diversification des importations en vue de contribuer à stabiliser l’offre et les prix des denrées alimentaires régionales ».

« La zone de libre-échange continental africain constitue un pas positif dans cette direction, car elle offre aux 54 pays africains un marché important qui pourra inciter l’investissement dans les réseaux de production agricole et les chaînes de valeur » a affirmé Dussey.

Développer l’Afrique par l’agriculture 

Le rôle des gouvernants est essentiel dans sa logique, en vue de prioriser les politiques qui protègent au mieux les agriculteurs, en particulier les pauvres.

« En effet, il est important d’intervenir sur l’ensemble de la chaîne de valeur, à commencer par les premiers acteurs du maillon, qui sont les petits producteurs, sachant que l’agriculture occupe 80 % de la population du continent, laquelle souffre du manque de semences, d’équipements de transformation, d’infrastructures d’écoulement des productions, etc. Les Etats africains doivent donc veiller au financement, au développement des capacités et au transfert de technologie et de savoir-faire afin de soutenir leurs politiques agricoles. L’on devra se mettre à l’esprit que l’agriculture est un business dans lequel le rôle des dirigeants politiques, du secteur privé, des grandes firmes et des PME, des femmes et surtout des jeunes, est primordial » a martelé Prof. Dussey

En somme, a-t-il conclu, la quête de l’émergence de l’Afrique dépend en grande partie de son développement agricole.

Et tout comme il n’y a pas de développement sans la paix et la stabilité, « pour sa sécurité alimentaire, l’Afrique devra s’attaquer aux situations de conflits et de fragilité qu’elle traverse car, il est démontré que la prévalence de la sous-nutrition est environ deux fois plus élevée dans les zones touchées par un conflit. »

« Les situations de conflits entre éleveurs et agriculteurs doivent être sérieusement prises en compte dans les politiques agricoles de chaque pays car les deux secteurs sont indissociables pour exploiter pleinement le potentiel de l’agriculture au service du développement de l’Afrique. L’Afrique doit pouvoir financer et investir plus dans son agriculture en vue d’augmenter sa production grâce aux variétés améliorées et aux engrais, sans oublier la préservation de son environnement (l’agroécologie) ; ce n’est que la seule alternative qui lui permettra de sortir de sa situation de dépendance alimentaire et proclamer sa souveraineté » a conclu Dussey

Alphonse LOGO 

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