Mobilisation générale contre les grossesses en milieu scolaire et l’abandon des classes par les filles au Togo

Au Togo, Plusieurs organisations se montrent préoccupées par la situation des grossesses de petites filles en milieu scolaire suivies de l’abandon des classes par celles-ci.

Akossiwa et Viviane, toutes deux, togolaises, ont du abandonner leurs études courant l’an 2021. Âgées de 15 et 17 ans, ces deux jeunes filles, en ont été contraintes du fait des grossesses précoces.

Akossiwa, élèves en classe de 5e dans la région des plateaux, raconte à Ton Afrique combien elle a souffert de cette situation.

« C’est ma mère qui a découvert que je suis enceinte. Je ne le savais pas. J’avais eu des rapports sexuels non protégés. Et c’est arrivé. J’ai dû abandonner les études, car j’avais honte. J’aurais bien voulu continuer les études. J’ai accouché il y a quelques mois. Mais je ne sais pas si j’aurai encore la possibilité de continuer » raconte la jeune maman.

Viviane pour sa part n’a pas souhaité se confier à Ton Afrique. Sa sœur aînée Diane nous racontera que la famille ne s’est rendue compte de son état de grossesse qu’à la suite d’une succession de mauvais états de santé. Les tests et analyses révèleront plus tard qu’elle est enceinte. Prise de « honte de se montrer à l’école dans cet état, elle a dû abandonner les études ».

Dans ce petit pays de l’Afrique de l’Ouest (Togo) où l’état fait de la scolarisation des filles et de la promotion de la femme une priorité, plusieurs milliers de filles sont de plus en plus contraintes d’abandonner les salles de classes. Soit du fait des grossesses précoces, ou d’autres facteurs liés à la pauvreté de leur famille, les mariages précoces notamment.

Une situation préoccupante

Courant l’année scolaire 2020-2021 au Togo, les chiffres sont hors du commun. 

En effet, d’après les résultats d’une récente enquête de la direction de la planification de l’éducation au Togo, le pays de Faure Gnassingbé a enregistré sur la période de septembre 2020 à mars 2021, « un total de 1244 cas de grossesses précoces et non désirées ». Le total des abandons de classes pour diverses raisons est douze fois plus lourd. L’enquête montre que 17 055 filles dont 13 332 dans les établissement d’enseignement ont quitté les bancs.

L’enquête est menée avec la collaboration avec la Banque Mondiale et l’UNICEF Togo, l’organe des nations unies en charge des questions de l’enfance.

Pour Claire Quenum, militante des droits des femmes et de la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles au Togo, « cette la situation de l’abandon des classes par les jeunes filles et les grossesses précoces, est une situation assez préoccupante » qui l’appelle à l’identification des causes.

Répondant à Ton Afrique, cette ancienne enseignante d’Anglais à la retraite, très engagée depuis plusieurs années dans la société civile togolaise comme défenseur des droits économiques et  socioculturels, avec un accent sur les questions de femmes, et la lutte contre les violences faites aux femmes et aux filles énumère plusieurs raisons pour expliquer la situation.

Faiblesse de l’autorité parentale

En premier lieu, elle note qu’il y a une certaine « faiblesse de l’autorité parentale » qui se profile dans le pays.

Elle soutient que « de plus en plus, les enfants en général, ne bénéficient plus d’une protection, digne de ce nom des parents et de la famille. Ce qui fait que les enfants, surtout les filles n’ont pas de guides, voire de modèles ».

« On doit reconnaître aussi que la parenté n’est plus très responsable dans nos pays africains comme cela l’était. Il y a trop de laisser-aller sous des prétextes de modernisation. Cela fait qu’on copie plus les modèles d’éducation de l’Europe sans pouvoir les adapter aux réalités africaines. Conséquences, il y a un manque de rigueur dans l’éducation des enfants et surtout des filles. Finalement elles perdent leurs de personnalité et de valeurs humaines » détaille Quenum.

Elle évoque en outre « la dépravation de mœurs, le suivisme et la recherche du gain facile» comme « facteurs non indéniable » dans la survenue de cette situation de grossesses précoces et d’abandon des classes au Togo ces dernières années.

« Ce n’est pas parce que ma copine de classe a réussi à faire ci, que je suis obligé de le faire moi aussi. Non. Nous, nous n’avons pas été éduqué comme cela » soutient-elle.

L’influence des médias

Ce n’est pas tout. Claire Quenum soutient aussi que « l’influence des médias » en est aussi pour quelque chose.

« Les médias ne montrent que des vices qui agissent sur les jeunes, les filles en particulier. Je n’en veux pour preuves que ces films et feuilletons Novelas qu’on montrent sur les médias à longueur de journées. Ces films, ma foi, n’éduquent pas et ne forment pas. Ils ne font que renforcer la dépravation des mœurs. A tout cela, on peut ajouter la pauvreté. Des jeunes filles sont très tôt poussées dans les bras des hommes. Soit par leurs parents pour se libérer de leur gestion, ou par les filles elles même, pour se prendre en charge. » Ajoute la militante des droits de la femme et de la fille togolaise.

Enfin, Quenum fait le constat que « l’école n’éduque plus la personne humaine. Elle se focalise plus sur l’instruction et ce qui édifie la personne humaine n’est plus tellement pris en compte ».

« Dans le temps, l’école complétait l’éducation familiale. Et l’école collaborait avec la famille pour que les enfants qui sont confiés à leurs soins, puissent devenir des adultes responsables. Actuellement, on voit que des enseignants (dont certains végètent eux-mêmes dans une certaine médiocrité, sans rigueur) ne sont plus très engagés dans ce système. Ils ne s’occupent que de la délivrance de leurs cours, et c’est tout. Sans se soucier de la qualité humaine actuelle et future des enfants » conclu-t-elle toute déçue. 

Éducation sexuelle et réseaux sociaux

Edzodzinam Komi Alagbo, Président de Jeunesse en Mission pour le Développement (JEMD) interrogé par Ton Afrique, soulève également une forte responsabilité des parents dans « l’éducation sexuelle des enfants et des filles en particulier ».

Son ONG mène d’ailleurs depuis le 18 novembre 2022, et dans plusieurs établissements scolaires du pays, une campagne de sensibilisation contre le mariage précoce, les grossesses en milieu scolaire et l’abandon des classes.

« Nous pensons pour notre part que la première responsabilité revient aux parents qui n’arrivent visiblement plus à encadrer leurs filles surtout durant leur âge d’adolescence. Mais alors, c’est à cette étape de leur vie que nos petites sœurs ont plus besoin d’être accompagnées. C’est en ce moment qu’elles doivent bénéficier des notions de base sur la sexualité responsable, et comment se contenir face aux pulsions des hommes et poursuivre leurs études jusqu’à la fin. Ce n’est malheureusement pas le cas » soutient au micro de Ton Afrique, cet ambassadeur reconnu des questions de Genre et Développement au Togo.

Il tacle en second lieu, les filles elles-mêmes, qui, d’après lui, sont responsables de cette situation « à cause de mauvaises compagnies qu’elles font, de la non utilisation à bon escient des nouvelles technologies de l’information et de la communication et des réseaux sociaux notamment ».

« Cela fait que les filles ne se contrôlent plus. Elles ne vivent plus comme des élèves sensées à cette étape de leur vie, de se concentrer sur leurs études et cahiers, pour réussir et bien profiter de leur indépendance plus tard » se désole Alagbo, expliquant que c’est interpellé par tout cela que son organisation est en campagne pour « zéro grossesses en milieu scolaire au Togo ».

Une campagne au cours de laquelle l’ONG mène des discussions ouvertes avec les élèves, leur rappelle les meilleurs comportements à adopter pour éviter d’être surprises par des grossesses non désirées qui conduisent à l’abandon des classes, et  installent dans les établissements visités des structures de veille composée d’élèves, des membres de l’administration, d’enseignants, voire des infirmières des établissements, pour constituer le relais de la sensibilisation.

Une responsabilité plutôt collective

Yao Dogbé, Secrétaire Générale de la Coalition pour la Fin du Mariage des Enfants au Togo, une autre ONG en campagne de lobbying actuellement dans le pays contre ces grossesses précoces des filles en milieux scolaire évoque à Ton Afrique, une responsabilité plutôt « collective ».

« Est-ce que le gouvernement fait de ces problèmes une de leurs priorités ? est-ce que les chefs traditionnels et religieux manifestent réellement leur propre engagement contre ce phénomène ? est-ce que les Organisations de la  société civile togolaises développent des stratégies appropriées et suffisantes pour lutter contre le phénomène ? Tant des questions qui nous permettent de nous mettre en cause et de repartir sur une nouvelle base » soutient Dogbé

Il soutient que les grossesses précoces en milieu scolaire constitue non seul « un mal pour les filles », mais surtout affirme que cela enfreint gravement « leur droit à l’éducation ».

« L’un des droits fondamentaux de l’enfant est le droit à l’éducation. Une fois que la fille se marie, elle est privée de ce droit fondamental et elle fait l’objet d’autres violences basées sur le genre dans son prétendu foyer. Sa vie est souvent menacée par son état de santé déjà dégradée » a indiqué Dogbé

Voilà pourquoi, poursuit-il, « le plaidoyer que nous menons consiste à promouvoir l’éducation de la jeune fille afin de réduire efficacement les violences faites aux filles notamment le mariage des enfants. Nous espérons que le gouvernement, les élus locaux, les chefs traditionnels et tout autre partenaire puissent user de leur pouvoir pour provoquer des changements en faveur des filles ».

Que cela cesse et que les auteurs des grossesses subissent la rigueur de la loi

Il appelle tous les acteurs pouvant intervenir, à agir pour que cela cesse, en y accordant une place dans leur budget de fonctionnement de l’année 2023.

« En planifiant et budgétisant des actions ciblées, nous pouvons parvenir à une éducation de qualité et la fin du mariage des enfants » croit-il.

Il suggère également « une réforme de la loi portant code l’enfant au Togo en extirpant « toutes les dispositions qui favorisent le mariage des enfants, l’application de la loi qui protège les filles inscrites dans les établissements scolaires et centre de formations professionnelles, des renforcements des capacités des acteurs et des sensibilisations ».

Enfin M. Dogbé plaide pour une punition des auteurs de grossesses et mariages précoces.

D’après lui, seules des mesures administratives sont actuellement prises contre eux. « Ils sont soit mis à la disposition de l’administration, soit affectés pour d’autres localités où ils poursuivent leur besogne en toute impunité. Il arrive même qu’au sein des communautés, malgré les efforts des chefs traditionnels, des négociations à l’amiable soient privilégiées au détriment de la dénonciation des cas de grossesses précoces et de mariage des enfants ».

« Non. Les acteurs des grossesses en milieu scolaire devraient subir la rigueur de la loi qui protège les filles inscrites dans un établissement scolaire ou dans un centre de formation professionnelle » conclu le SG de la Coalition pour la fin du mariage précoce chez les filles.

Mais encore faut-il que les enfants écoutent les parents qui les envoient à l’école pour les études. Retoque Claire Quenum. Car soutient-elle, « beaucoup d’entre elles ne veulent plus écouter leurs parents. Elles préfèrent plutôt imiter leurs amies à l’école sans aucune réflexion sur leur avenir et leur propre réussite ».

Elle interpelle tout de même l’État togolais, à prendre « les dispositions nécessaires pour protéger ces enfants et surtout les filles ».

« Il faudra choisir si c’est des vicieuses et des filles mères que nous voulons pour notre société de demain, ou des citoyens et des citoyennes édifiés pour créer la richesse nécessaire au développement du pays. Pour ma part le choix est clair. Il faut que l’État crée un environnement favorable qui édifie les personnes et les jeunes. Un environnement qui appuie les parents dans leur effort d’éducation des enfants face aux vices dans la société » explique l’ancienne enseignante en soutenant que l’éducation est la base de tout développement ».

« Que ce soit au sein de la famille, à l’école, dans les  sphères publiques, et à tous les niveaux, l’éducation dans la société togolaise doit valoriser l’être humain et amener les enfants, les filles à tendre vers une excellence. On ne peut pas aller au développement économique, financier et autre sans le développement du capital humain. Pour construire un pays, ce n’est pas avec des filles mère. Mais c’est avec des filles édifiées qui ont des valeurs et des connaissances et compétences » Conclue Claire Quenum.

L’Etat jouera sa partition

Contacté par Ton Afrique, le ministre togolais des enseignements primaire, secondaire, technique et de l’artisanat soutient que l’état joue et continuera de jouer sa partition.

Il soutient que ses services ont déjà engagé des sensibilisations en la matière dans les établissements scolaire dans l’espoir de renverser la tendance. Il assure aussi que les ministères sectoriels sont également sensibilisés sur la question et « qu’un projet de loi sur les violences à caractère sexuel » qui protège ces filles est en perspective.

Alphonse LOGO

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